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Réformer le système de santé

La pandémie de Covid 19 a tragiquement révélé la fragilité de notre système de santé, elle s’est traduite par un déficit abyssal de la Sécurité sociale, elle a mis notre économie à genoux.

Nous avons découvert que nous dépendions entièrement de l’étranger pour nous fournir des masques et nous avons dû subir une longue pénurie.

Nous avons vu nos meilleurs médecins se déchirer sur les moyens à mettre en œuvre pour lutter contre le virus.

Nous avons vu nos soignants faire preuve d’un dévouement exemplaire pour compenser leur manque de moyens.

La faiblesse de la France nous est apparue crûment, la pandémie l’a encore aggravée.

Pour espérer nous relever, de nombreux chantiers doivent être ouverts. Parmi eux, l’un des plus importants et des plus urgents est celui de la réforme de notre système de santé.

L’inefficacité c’est la mort

Commençons par une remarque fondamentale. L’essentiel des discussions porte habituellement sur la question des moyens financiers. Pourtant, il est important de distinguer la question du niveau des moyens financiers de celle de l’efficacité.

Dans une démocratie, ce sont les citoyens qui décident du niveau des moyens financiers à accorder au système de santé. Nous n’aborderons donc ici que la question de son efficacité.

L’efficacité de notre système de santé est fondamentale parce que, dans le domaine de la santé, l’inefficacité c’est la mort.

Le budget de la santé est limité, tout ce qui est dépensé quelque part ne peut l'être ailleurs. L'argent dépensé inutilement aurait pu sauver des vies en finançant des matériels ou des recherches.

L’efficacité de notre système de santé est également fondamentale parce qu’il doit affronter une concurrence internationale redoutable qui risque de nous rendre encore plus dépendants de l’étranger.

Des multinationales géantes ont investi des milliards de dollars pour développer l’intelligence artificielle en vue de proposer des services qui viendront se substituer à ceux que proposent nos médecins.

Nous dépendons massivement de groupes pharmaceutiques étrangers qui peuvent nous imposer leurs conditions en cas de crise. Nous avons aussi vu que notre principal groupe pharmaceutique était multinational avant d’être français.

De plus, le système actuel a laissé se développer des déserts médicaux. Des assurés sont obligés de payer des cotisations alors qu'ils ont les plus grandes difficultés à bénéficier des prestations lorsqu'ils en ont besoin. C'est en quelque sorte un transfert des assurés les moins protégés vers les mieux protégés. Pire, ce sont des personnes qui meurent faute d'avoir pu recevoir à temps les soins nécessaires.

Un système qui incite à la dépense

En France, lorsqu’une personne est malade, elle va voir le médecin qui lui prescrit un traitement. Ce traitement n’est pas payé par le malade mais par la Sécurité sociale et les mutuelles.

Un tel système incite naturellement à la dépense et cela pour au moins deux raisons.

La première tient au fait que celui qui décide la dépense ne la paye pas. En effet, c’est le médecin qui décide du traitement mais c’est la Sécurité sociale qui le paye.

Dans ces conditions, ni le médecin ni le malade n’ont intérêt à aller vers le traitement le moins coûteux. De plus, trop souvent, un traitement peu coûteux est considéré par le malade comme un traitement peu efficace.

La deuxième raison pour laquelle le système actuel incite à la dépense est que le système de soins vit de la maladie.

Sans maladie il n’y aurait pas de médecins, pas d’infirmières, pas d’hôpitaux, pas d’industrie pharmaceutique, c’est tout un pan de l’économie qui s’écroulerait.

Maintenir la population en bonne santé va donc clairement à l’encontre de l’intérêt financier du système de soins.

Il ne s'agit pas ici de mettre en cause une profession qui fait preuve d'un dévouement exemplaire mais de constater que, comme toute activité économique, le système de soins est soumis à une contrainte de rentabilité.

Entre un investissement pour guérir qui lui rapportera de l’argent et un investissement pour prévenir qui ne lui rapportera rien, il choisira nécessairement celui pour guérir. Pour la même raison, la formation des soignants est, elle aussi, davantage orientée vers les soins que vers la prévention.

Pourtant, guérir c'est bien, ne pas tomber malade c'est mieux.

Un système de soins réellement efficace du point de vue de la société est donc un système qui donne la priorité à la prévention plutôt qu’à la guérison, même si celle-ci reste, bien entendu, fondamentale.

Ainsi, si l’on veut un mettre en place un système efficace, deux conditions doivent être remplies :

Réunir médecins et assureurs

Dans le système actuel, c’est le médecin qui décide la dépense et c’est l’assurance qui la paye.

Du fait du caractère aléatoire de la maladie qui peut générer des coûts extrêmement élevés, on ne peut demander ni au malade, ni au médecin, de payer le traitement. C’est donc nécessairement le système d’assurance qui doit le faire.

De même, le décideur de la dépense ne peut être que le médecin puisqu’il est le seul a en avoir la compétence.

Nous avons vu que, dans un système efficace, le payeur doit aussi être le décideur, on en déduit que les médecins qui décident la dépense et les assureurs qui la payent doivent être liés dans une même entité. Cette entité pourrait être, par exemple, une société prestataire de soins.


Mais, pour que notre système de santé soit efficace, il faut également que son intérêt financier l’incite à maintenir la population en bonne santé.

Pour cela, il est nécessaire que la maladie ne soit pas pour lui une source de revenu mais de coût. Sa rémunération doit donc être indépendante de la maladie afin de l’inciter à développer au maximum la prévention.

Le système de soins doit également prendre à sa charge le coût des traitements afin d’être incité à investir pour le réduire.

Pour que ces deux conditions soient remplies, il suffirait d’appliquer aux sociétés prestataires de soins le même système de rémunération qu’aux sociétés d’assurance.

Comme les sociétés d’assurance, les sociétés prestataires de soins devraient être rémunérées par des primes forfaitaires et non plus à l’acte.

Comme les sociétés d’assurance, elles devraient prendre en charge les coûts en cas de sinistre, c’est-à-dire en cas de maladie.

Si ces deux conditions sont remplies, alors les sociétés prestataires de soins auront intérêt à privilégier davantage la prévention que la guérison et à optimiser leurs dépenses, c’est-à-dire que leur intérêt financier ira dans le sens du bien-être de la population.

Ainsi, un système de santé efficace doit reposer sur une ou plusieurs sociétés offrant tout à la fois des services de soins et d’assurance.

Concurrence et solidarité

Le système de santé doit aussi présenter deux caractéristiques essentielles qui semblent incompatibles : être concurrentiel et remplir une fonction de solidarité.

La concurrence est une condition nécessaire à l’efficacité, un système monopolistique tend naturellement à demander toujours plus de moyens et finit par privilégier son intérêt plutôt que celui de la collectivité.

Mais, dans le monde moderne, les entreprises doivent être capables d’affronter la concurrence de grands groupes multinationaux.

Notre système de santé actuel qui est composé pour l’essentiel de médecins indépendants semble bien mal armé pour y faire face.

Pour affronter les groupes géants qui se sont lancés dans la bataille pour le contrôle de la santé, il nous faut nécessairement des sociétés prestataires de soins de grande taille, capables de développer leur propres services de recherche et d’investir massivement.

Mais il faut aussi maintenir un minimum de concurrence. Pour un pays comme la France, le nombre de deux, voire trois sociétés prestataires de soins peut apparaître comme un bon compromis.

Revenons maintenant à la nécessité de solidarité.

Dans un système concurrentiel, les entreprises sont amenées à lier leurs prix à leurs coûts, c’est-à-dire à fixer le même prix pour tous leurs clients, indépendamment de leur revenu. C’est en contradiction évidente avec la nécessité de la solidarité qui impose que chacun paye en fonction de son revenu.

C’est la Sécurité sociale qui permet de sortir de cette contradiction et qui devrait continuer à le faire.

Chacun contribuerait à la Sécurité sociale en fonction de ses moyens et la Sécurité sociale payerait des primes forfaitaires aux sociétés prestataires de soins.

La seule différence avec le système actuel est qu’au lieu de payer un médecin à l’acte, la Sécurité sociale payerait une prime aux sociétés pour chaque personne qu’elles prendraient en charge.


En payant des primes forfaitaires au lieu de rembourser des dépenses effectives, la Sécurité sociale transfèrerait sa fonction d'assurance aux sociétés de soins. Elle ne conserverait alors que sa fonction de solidarité.

Concurrence par les prix ou la qualité

Il importe maintenant de préciser les conditions de la concurrence.

Très schématiquement, on peut distinguer deux types de concurrence :

Pour que la concurrence par les prix puisse jouer, il faut deux conditions.

La première est que les sociétés prestataires de soins soient libres de fixer leurs tarifs.

La deuxième est que les prix puissent influencer le choix des assurés afin de les inciter à aller vers la société qui offre le meilleur rapport qualité /  prix.

Comme dans le système proposé, ce ne sont pas les assurés qui payent mais la Sécurité sociale, il faut que celle-ci répercute sur chaque assuré le prix pratiqué par la société qu’il a choisie.

Pour cela, la Sécurité sociale doit faire dépendre le taux de cotisation payé par chaque assuré de la société qu’il a retenue. En pratique, ce taux pourrait être proportionnel au tarif pratiqué.

Ainsi, si les sociétés proposaient respectivement des tarifs de 1000, 1100 et 1200, un assuré pourrait, par exemple, choisir entre des taux de cotisation de 10%, 11% et 12%.

Tarifs des sociétés
Taux de cotisation
1 000
10%
1 100
11%
1 200
12%

La Sécurité sociale calculerait alors les taux de manière à assurer l’équilibre global entre recettes et dépenses.

Considérons maintenant le cas de la concurrence par la qualité. Dans un tel système, la concurrence ne se fait pas par les prix. Ceux-ci sont fixés à l’identique pour toutes les sociétés et chacune d’entre elles tente de se démarquer en proposant la meilleure qualité de service possible.

Aucun des deux systèmes n'est parfait. La concurrence par les prix risque de se faire au détriment de la qualité, la concurrence par la qualité incite peu à la réduction des coûts.

Un juste équilibre est à trouver. Il peut l'être par un système mixte, par exemple : pour les soins de base les prix peuvent être fixés alors qu'ils peuvent être libres pour les autres soins, c'est-à-dire ceux qui sont actuellement remboursés en option par les mutuelles.

La qualité pourrait être contrôlée par l’État et par une obligation de publication des moyens mis en œuvre et des résultats.

L'organisation du système

Dans le nouveau système, les nouvelles sociétés prestataires de soins seraient fondées sur l'union d'assureurs et de soignants.

En ce qui concerne les assureurs, il semble assez naturel de s'appuyer sur les mutuelles existantes qui pourraient être incitées par l’État à se regrouper en deux ou trois entités. Des sociétés privées pourraient s’y joindre à condition de rester minoritaires.

Les soignants pourraient être salariés des sociétés mais, comme la médecine libérale est dominante en France, il serait préférable de prévoir aussi la possibilité de contrats d'association entre les médecins et les sociétés prestataires de soins.

Les médecins associés seraient alors rémunérés par les sociétés, non plus à l'acte, mais par une somme forfaitaire par patient suivi.

Bien entendu, il serait préférable que les médecins comme l'ensemble du personnel soient largement associés au bénéfice des sociétés.

Par ailleurs, les sociétés devraient couvrir le domaine le plus vaste possible du secteur de la santé afin de présenter une offre de soins complète, c'est-à-dire qu’elles devraient inclure non seulement des soignants mais également des pharmaciens, des laboratoires d'analyse, voire des laboratoires pharmaceutiques.

L'État pourrait, quant à lui, apporter sa contribution sous forme de services ou de lits d'hôpitaux.

Le conseil d'administration de chaque société devrait être composé de représentants des patients et des soignants mais aussi de l'État qui jouerait un rôle d'arbitre en tant que représentant de l'intérêt national.

L'intégration des mutuelles au système impliquerait la disparition des complémentaires santé, mettant du même coup fin à une injustice. En effet, actuellement, faute de moyens, de nombreux français ne sont pas couverts pas des mutuelles complémentaires si bien qu'ils doivent renoncer à certains soins alors qu'ils sont obligés de cotiser. Iis contribuent donc au financement du système de soins sans pouvoir en profiter.

La suppression du système de reste à charge serait d'ailleurs une mesure très efficace pour inciter les mutuelles à intégrer le nouveau système.

Les contraintes imposées au système

Le système de santé exerçant une fonction de service public, les sociétés prestataires de soins devraient être soumises à certaines contraintes.

La première de ces contraintes devrait concerner la couverture du territoire.

Chaque société devrait être dans l'obligation d'assurer une couverture minimale de l'ensemble du territoire afin de rétablir l'égalité de traitement entre tous les assurés.

La deuxième contrainte imposée au système de soins concernerait la garantie du maintien d'un minimum de capacité de prestations de soins afin d'être en mesure de faire face à des évènements d'ampleur exceptionnelle comme, par exemple, des épidémies, des catastrophes naturelles ou des accidents industriels, notamment nucléaires.

La pandémie de covid 19 a montré que le système actuel avait les pires difficultés à affronter une épidémie et cela n'est pas dû à sa mauvaise gestion mais aux principes mêmes sur lesquels il est fondé.

En effet, des prestataires de soins, qu'ils soient hôpitaux, médecins ou autres, rémunérés à l'acte et contraints de minimiser leurs coûts, ne peuvent se permettre de maintenir des capacités de traitement excédentaires en vue d'une catastrophe qui n'arrivera peut-être jamais.

Si l’État veut assurer à la population un minimum de soins en cas de catastrophe majeure, il doit accepter de maintenir en permanence des capacités de traitement excédentaires et en payer le prix.

Ainsi, les sociétés devraient être dans l'obligation de maintenir des capacités de prestations de soins excédentaires par rapport à la normale. Ce coût supplémentaire devrait être pris en charge, non pas par la Sécurité sociale, mais par l'État puisque c'est lui qui a la responsabilité de protéger la population.

Propositions alternatives

La task force Réforme du Financement du système de santé lancée par le Premier ministre en 2018 a fait un certain nombre de propositions. Celles-ci visent à améliorer la prévention et à maîtriser l’évolution des dépenses de santé.

Parmi les propositions allant dans le sens de la réforme proposée on notera notamment la volonté de développer les paiements forfaitaires. Le problème vient du fait que ces paiements devraient concerner plusieurs professionnels liés par des contrats, ce qui soulève deux difficultés.

La première est la complexité de la mise en œuvre de ces collaborations du fait notamment de la difficulté de répartir le paiement entre les différents intervenants.

La seconde difficulté réside dans la nécessité de définir des critères de résultat. La Task force Eurostat de 2008 sur la mesure de la productivité des services publics avait déjà démontré qu’il était difficile, voire impossible, de définir des indicateurs de résultat dans le domaine de la santé.

D’une part, les résultats ne peuvent être connus qu’après plusieurs années, d’autre part ils ne peuvent être jugés que par rapport à des objectifs bien définis et hiérarchisés. Or c’est pratiquement impossible.

Par exemple, quel est le meilleur traitement ? Celui qui permet de gagner une année de vie en bonne santé ou celui qui permet de gagner deux années de vie en mauvaise santé ?

Le meilleur moyen de parvenir aux objectifs définis par la task force ministérielle est donc de réunir les différents acteurs du système de santé dans de grandes entités plutôt que de compter sur une coordination particulièrement complexe qui supposerait de renforcer encore davantage des services administratifs déjà très lourds.

Conclusion

L'épidémie de covid 19 nous rappelle que notre système de santé contribue à la sécurité nationale au même titre que notre armée, il est donc d'une importance stratégique qu'il soit performant.

Le temps n’est plus aux inflexions qui pourraient, à terme, améliorer progressivement l’efficacité de notre système de santé. Il est urgent d’engager dès maintenant une réforme radicale qui produira ses effets rapidement et cela même si elle doit heurter bien des intérêts. La survie de notre nation en dépend.


Si vous souhaitez participer à ce débat, vous pouvez le faire en envoyant vos commentaires ou contributions à l'adresse suivante :

debats@comptanat.fr

 

Auteur : Francis Malherbe

 






 








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